Du syndicat révolutionnaire au syndicat autonome en passant par le syndicat maison
Le 24 février 1956 naquit l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). La création de cette organisation syndicale en pleine guerre de libération avait pour objectif principal de mobiliser les travailleurs pour lutter contre le colonialisme et son injustice.
Le Mouvement syndical algérien était composé, à l’époque, de militants aguerris par une longue expérience de combats menés sur les lieux de travail et au sein de la société contre les formes insidieuses ou manifestes d’exclusion, de discrimination et d’exploitation. Ce mouvement devait faire face à la question de son implication dans la révolution déclenchée le 1er novembre 1954. Auprès des dirigeants éminents de la révolution et principalement de Abane Ramdane, Aïssat Idir, qui avaient déjà un parcours prestigieux dans le Mouvement syndical algérien, les adhérents à ce mouvement ont pris conscience de l’importance stratégique que pouvait représenter l’unité et la cohésion des travailleurs dans le mouvement de libération.
La décision a donc été prise de parer à cette situation en prenant en considération le plan stratégique d’unification des forces. C’est dans ce contexte que l’UGTA est née. D’aucuns estiment que Aïssat Idir a joué un rôle éminent dans la préparation et la création de l’UGTA. Selon le témoignage des syndicalistes, Aïssat Idir collaborait à la rédaction des journaux clandestins du PPA et avait dirigé la commission centrale ouvrière de 1947 à 1957. Les dirigeants de la révolution ont bien accueilli sa venue en tant que leader du mouvement syndical. A cela, s’ajoute la création d’une publication propre à l’UGTA qui s’appellera L’Ouvrier algérien.
C’est dans le premier numéro que seront définis les axes stratégiques du programme de l’UGTA qui restent encore d’actualité, à savoir : donner à la lutte ouvrière de notre pays une orientation stratégique conforme à ses aspirations, c’est-à-dire une révolution dans les domaines politique, économique et social, forger une conscience ouvrière qui rend les travailleurs aptes à lutter contre tous les exploiteurs sans distinction aucune, bannir toute discrimination dans la défense de la classe ouvrière, orienter la lutte des travailleurs pour arracher de meilleures conditions de vie et le plein emploi. Sur le plan international, l’UGTA fait connaître au monde, à travers le Bureau international du travail (BIT), l’ONU et les autres centrales syndicales, la représentativité et la vitalité du syndicalisme algérien. Après l’indépendance et durant les années 1990, l’UGTA change de cap.
D’aucuns considèrent le 8e Congrès tenu en juin 1990 comme un tournant décisif dans l’histoire de la centrale syndicale, dans la mesure où, à l’unanimité, les participants aux assises ont décidé de rompre avec toutes les tutelles, quelles qu’elles soient et d’où qu’elles viennent. Ce congrès a contribué à renforcer la volonté des syndicalistes de marquer, pour plus d’efficacité, leur distance à l’égard du pouvoir politique. Cette «libération» de l’organisation syndicale se traduit rapidement sur le terrain des luttes sociales et économiques. Ainsi, en réponse au mot d’ordre lancé par la direction issue du 8e Congrès, un mouvement de grève fut déclenché les 12 et 13 mars 1991, suivi à plus de 90% dans toutes les branches d’activités. Le gouvernement a considéré cette action revendicative de l’UGTA comme étant une tentative de déstabilisation du pouvoir.
Selon les animateurs de cette manifestation, cette partie de bras de fer fut à l’avantage de l’UGTA, puisque dès début avril s’engagèrent des négociations entre le gouvernement Hamrouche et la délégation syndicale, conduite par Abdelhak Benhamouda. Des acquis ont été arrachés. Faut-il rappeler que Benhamouda est arrivé à la tête de l’UGTA dans un contexte de crise économique. Il s’est fortement impliqué dans la défense des fondements républicains de l’Etat, aux prises à partir de 1991, avec la menace destabilisatrice du mouvement islamiste. L’Algérie était meurtrie par les massacres perpétrés par les groupes armés. Aujourd’hui, les dirigeants de la centrale estiment que «l’UGTA reste l’organisation qui a su conserver la clarté de ses options, sa capacité mobilisatrice et son pouvoir de proposition».
Par pragmatisme, la centrale, expliquent ses dirigeants, privilégie les démarches qui visent à amoindrir les effets destructeurs de certaines politiques, en proposant des alternatives au bénéfice des travailleurs et travailleuses algériens. Pour les militants syndicaux de l’UGTA, le parcours historique de leur organisation et l’expérience des quinze dernières années les renforcent dans cette certitude que les lois du marché ne sont nullement une finalité et que seule la solidarité humaine est, pour les travailleurs, l’ultime mesure du progrès de leur société. Dans ce sillage, le parton de l’UGTA, Sidi Saïd, se dit «fier du parcours de la centrale et le travail de ses militants». Il refuse toutefois de répondre aux personnes qui qualifient l’UGTA d’un syndicat maison, arguant que ces accusations relèvent d’un bas niveau. Pour Sidi Saïd, le syndicalisme, ne se limite pas à faire des grèves, mais le syndicalisme c’est avant tout l’instauration d’un dialogue. Seulement, aujourd’hui, beaucoup de syndicalistes se sont démarqués de l’UGTA et ont créé leurs propres organisations. Ils se disent insatisfaits du rôle de la centrale et ne se reconnaissent plus dans cet organisme. Certains vont même jusqu’à l’accuser d’être à la solde du pouvoir.
Les syndicats autonomes déplorent
Meriane Meziane, coordinateur national autonome des professeurs d’enseignement secondaire et technique (SNAPEST) et Lyès Merabet, porte-parole du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), font une rétrospective du rôle et de la mission de l’UGTA et dressent par- là même un tableau très critique. Le premier est persuadé qu’après l’indépendance de notre pays, le problème du multipartisme et du multisyndicalisme s’est posé d’une façon accrue et les premiers à en faire les frais sont l’UGTA et l’UGEMA, devenues par la suite l’UNEA. Les syndicalistes, dignes héritiers de Aïssat Idir, vont, après l’indépendance, fait remarquer M. Meriane, défendre farouchement l’autonomie de l’UGTA par rapport au pouvoir en place, mais le FLN a tout fait pour barrer la route à cette résistance : «Lors du congrès de 1963 de l’UGTA, le FLN va réaliser un coup de force, en remplaçant les véritables congressistes par des militants FLN. Les dirigeants du FLN imposeront par la suite à la tête de l’UGTA des syndicalistes militants du parti unique», rappelle notre interlocuteur.
Pour l’UNEA, note ce syndicaliste, le pouvoir en place a utilisé tous les moyens : des étudiants syndicalistes enrôlés de force au service national au milieu de leur cursus universitaire, ainsi que l’usage de la torture ; cependant, toutes ces manœuvres n’ont pas eu raison de la détermination des étudiants syndicalistes qui plaidaient pour l’autonomie de leur syndicat, et ce, jusqu’au 18 janvier 1971, date de sa dissolution par le président Houari Boumediène.
Cette résistance, selon des syndicalistes, est devenue un exemple à suivre pour tous les étudiants qui refusent l’autoritarisme du pouvoir en place. Pour résister au rouleau compresseur du parti unique, des comités d’étudiants autonomes sont créés et menaient des activités politiques sous couverture culturelle dans les cités universitaires. «La première à payer le prix d’un syndicat bureaucratisé et politiquement dépendant du parti unique est la classe ouvrière algérienne. Alors que pour rétablir un dialogue social sérieux, il est nécessaire et vital de disposer d’interlocuteurs représentatifs du monde du travail», estime M. Meriane. Voyant que le pluralisme syndical est garanti par la Constitution de 1989, les étudiants résistants des années soixante-dix, devenus cadres fonctionnaires, vont créer avec l’ouverture politico-syndicale des partis politiques et des syndicats autonomes.
Malheureusement, regrette le président du Snapest, la reconnaissance du multisyndicalisme n’est que théorique et un trompe l’œil. «Le pluralisme syndical de droit qui a pour corollaire l’égalité de traitement juridique des différentes organisations, n’est, chez nous, que subterfuge», déplorent les organisations autonomes. Dans les autres pays, souligne-t-on, l’élargissement de la revendication des objectifs sociaux aux objectifs économiques et l’importance prise par les conditions de travail et la qualité de la vie ont conduit leur gouvernement à appeler les syndicats à participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique économique et sociale.
L’UGTA doit revoir ses positions
Ils le font non seulement par la négociation collective mais aussi en recherchant une participation aux décisions et au niveau des relations de travail entre administration et salariés, la liberté d’appartenance et l’activité syndicale constituent la pierre angulaire de l’exercice concret du droit syndical. «Chez nous, ces notions ne sont que théoriques, étant donné que le fonctionnaire, placé en situation de subordination juridique ne bénéficie pas de garanties contre toutes les discriminations», déplore M. Meriane. Est-il normal, s’interrogent les entités autonomes, qu’une grille de salaires soit élaborée et le code de travail se finalise sans l’apport des syndicats autonomes, sans omettre l’adoption arbitraire de la nouvelle grille des salaires de la Fonction publique qui continue de susciter l’ire jusqu’à aujourd’hui des fonctionnaires.
Cette situation a poussé les syndicats autonomes à s’organiser. Ils ont pu, à cet effet, créer en septembre 2007 la Coordination nationale des syndicats autonomes de la Fonction publique, qui a regroupé pas moins de 14 syndicats autonomes actifs au sein de la Fonction publique. Mais le recours à l’arsenal juridique et les ponctions sur les salaires des fonctionnaires, lors des protestations, rendent l’activité syndicale congrue à zéro. «La persécution, la marginalisation de ces syndicats autonomes et la destruction de tout mouvement social a conduit à un désert culturel et politique, qui engendre l’impréparation de la classe politique et syndicale à l’évolution pour présenter une alternative», dénoncent certains responsables de syndicats autonomes, qui mènent une lutte acharnée pour l’amélioration du pouvoir d’achat et les conditions socioprofessionnelles des fonctionnaires.
Très virulent, Lyès Merabet, premier responsable du (SNPSP), pense que la faillite de l’UGTA est dans son soutien indéfectible à toutes les démarches des gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1980, pour organiser l’échec de la politique socio-économique dont l’Algérie subit les conséquences à ce jour. Cet échec, selon M. Merabet, a eu lieu avec la bénédiction de la centrale syndicale. «Accolé aux pouvoirs publics, le tissu industriel, fièrement construit dans les années 1970, a été anéanti et des milliers de postes de travail, dans différents secteurs, ont été sacrifiés, au grand bonheur de l’import-import et de l’économie informelle», explique-t-il.
Ce dernier est persuadé que le pacte social et économique, le premier du genre en Algérie, signé entre partenaires de la tripartite, en 2005, a clairement enterré cette organisation syndicale par le chèque en blanc laissé au gouvernement, qui proposait une nouvelle politique de restructuration industrielle, qui soumettait avec beaucoup de facilités nos entreprises aux investisseurs étrangers. A l’époque, selon M. Merabet, l’UGTA avait consenti au gel des salaires des travailleurs dans tous les secteurs pendant la période du pacte de cinq ans. La même centrale syndicale, de l’avis de notre interlocuteur, a cautionné la réforme de la loi portant statut général de la Fonction publique (publiée par ordonnance présidentielle en juillet 2006) et qui constitue une régression pour le fonctionnaire en termes de droit et de protection et qui a définitivement consacré la précarité de l’emploi dans le fonctionnariat. «Aujourd’hui, nous prenons acte de la déclaration du Premier ministre, M. Ahmed Ouyahia, qui dit ‘‘assumer avec d’autres les mauvais choix économiques décidés au début années 1990’’, et nous disons que l’UGTA doit souscrire à cette démarche et remettre en cause ses positions afin de pouvoir espérer s’émanciper et reconquérir les cœurs et la confiance des travailleurs», observe M. Merabet.